Ce que lisent les femmes" Pfft...! Et pourquoi ne liraient-elles pas ce que lisent les hommes"» lance, courroucée, cette jeune éditrice que le sexisme larvé d'une telle interrogation met manifestement hors d'elle. La question mérite pourtant d'être posée.
Ce que lisent les femmes? Pfft...! Et pourquoi ne liraient-elles pas ce que lisent les hommes?» lance, courroucée, cette jeune éditrice que le sexisme larvé d'une telle interrogation met manifestement hors d'elle. La question mérite pourtant d'être posée. Car un simple coup d'?il aux statistiques confirme ce que les professionnels du livre constatent de façon empirique: les femmes ne lisent pas la même chose que leurs congénères masculins. Autrement dit, la lecture a un sexe!Un sondage fort instructif, commandé par la SNCF, faisait ainsi apparaître, en octobre 1994, que si 70% des hommes consacrent leur temps de transport quotidien à la lecture d'un journal, 69% des femmes en profitent en revanche pour lire un livre. Tout aussi riche d'enseignements, l'étude menée récemment auprès des acheteurs de Librio, la collection de poche à 10 francs des éditions J'ai lu, révèle que 71% de ses clients sont des femmes, ce qui prouve non seulement qu'elles lisent, mais aussi qu'elles ne sont pas aussi dépensières qu'on veut bien le prétendre!
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«Les femmes lisent peut-être plus, mais elles lisent des romans!» entend-on déjà ricaner les machos, prompts à rappeler insidieusement que l'on sait bien depuis Madame Bovary où mène la consommation immodérée d'ouvrages de fiction! «Sept lecteurs de romans sur dix sont des lectrices, reconnaît Jean-François Hersent, chargé de mission à la Direction du livre, et toutes les enquêtes révèlent que les femmes privilégient le romanesque tandis que leurs homologues masculins assurent le succès des essais et des ouvrages pratiques.»
Pour Paulette, Francine, Elisabeth et les autres, membres exclusivement féminins d'un club de lecture de la banlieue parisienne et rencontrées pour les besoins de cette enquête, la lecture semble bien se confondre avec le goût de la fiction. Dans la «bibliothèque tournante» de ces lectrices boulimiques, où Daniel Pennac (La fée carabine), Patrick Süskind (Le parfum) et Toni Morrison (Beloved) figurent en bonne place, on ne recense que des romans... à l'exception notable toutefois des Propos sur l'éducation de Locke, élu sans doute dans un louable souci de perfectionnement par ce petit groupe composé en majorité de mères de famille!
Les clubs de livres, gros pourvoyeurs de best-sellers en tout genre, ont su depuis longtemps évaluer les retombées commerciales de cette propension toute féminine à la fiction. «Nous faisons très attention à ce que soit proposé un large éventail de romans que l'on appelle ''féminins", avec des histoires d'amour», reconnaît Charles Dupêchez, directeur littéraire du Grand Livre du Mois. Son souci est pour le moins compréhensible, les femmes représentant 62% de la clientèle du GLM. «Nos 4,5 millions d'adhérents sont pour 80% des femmes», révèle à son tour Christine Mouchon, directrice des relations extérieures de France Loisirs. Inutile de préciser que si le catalogue du «Club où il fait bon lire» propose exactement 80% d'ouvrages de littérature générale et de fiction, ce n'est nullement l'effet du hasard.
L'argument quelque peu rudimentaire selon lequel leur «soif de rêve», voire «d'exotisme», conduirait les femmes à plébisciter le romanesque aurait-il quelque fondement? Martine Lamarle, présidente du fan-club de la romancière américaine Danielle Steel, éditée aux Presses de la Cité (car il existe un «Club des amis de Danielle Steel» qui compte à ce jour 4 350 membres, dont seulement 200 hommes!), reconnaît que la plupart des lettres destinées à ce prodige éditorial disent en substance: Merci Danielle Steel de nous faire rêver et de nous donner du courage. «Une bonne histoire, bien racontée, qui fait rêver les lectrices et leur donne le sentiment d'apprendre quelque chose, c'est une combinaison gagnante à tous les coups!» renchérit Renaud Bombard, directeur littéraire de ces mêmes Presses de la Cité. Quant à Marion Mazauric, directrice littéraire des éditions J'ai lu, dont le catalogue comporte trois collections sentimentales, elle est catégorique: «Une femme ne lit des romans sentimentaux que pour se faire plaisir et pour rêver. C'est du fantasme pur!»
Pourtant, quand on interroge les sociologues sur le penchant «inné» des femmes pour le roman, ils se montrent nettement plus circonspects. «Si la lecture féminine est davantage orientée vers la fiction et notamment vers le roman psychologique, ce n'est pas une question de nature, explique Bernadette Seibel, directrice de l'observatoire France Loisirs de la lecture, mais parce que, dans la vie sociale, tout ce qui est tourné vers l'intériorisation se trouve plutôt du côté féminin.» «Les femmes ont, à diplôme égal, moins tendance que les hommes à se tourner vers des lectures en relation avec leur profession, renchérit Olivier Donnat, auteur de l'enquête sur les Pratiques culturelles des Français, sans doute parce qu'elles ne s'investissent pas de la même façon dans leur activité.»
Une chose est sûre, les femmes dissocient moins plaisir et lecture que les hommes, condamnés à lire «utile». Et cela commence très tôt. C'est ce que démontre le sondage réalisé sur les 8-16 ans par Hachette-Médiamétrie en 1992. On y apprend qu'à l'instar de leurs mères, les filles lisent plus, et lisent plus de romans que les garçons, mais surtout qu'elles sont 79% des 14-16 ans à «s'amuser en lisant», contre seulement 69% de leurs petits camarades!
Hyperféminisée, l'initiation à la lecture serait-elle à l'origine de ce clivage? On imagine aisément les difficultés que peuvent avoir les jeunes garçons à s'identifier aux bataillons de représentantes du sexe féminin - institutrices, bibliothécaires et professeurs - qui sont aussi les principaux médiateurs du livre. «Les adolescents assimilent spontanément la lecture à une activité efféminée, confirme le sociologue Olivier Donnat, heureusement il y a Bernard Pivot!» En résumé, les deux sexes ne sont pas égaux devant la lecture. De là à suggérer que les hommes pourraient bien être les victimes innocentes de pratiques sociales et scolaires discriminantes...
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